Deux (vieilles) dames indignes

Deux (vieilles) dames indignes

Cette année, le voyage en Sardaigne du comité de jumelage Italie de Saint-Médard-en-Jalles ne fut pas exempt de péripéties, mais deux participantes conclurent le séjour de façon magistrale.

Dans la nuit qui précéda leur départ d’Olbia et leur retour vers Mérignac, à l’hôtel Martini, G.et M. furent réveillées par une sonnerie musicale qui ne s’arrêtait pas. D’abord G. crut qu’il s’agissait du réveil programmé par la guide. Étrange, tout de même, jusque là chacun s’était débrouillé pour se lever à l’heure fixée sans que le groupe en pâtît. G. dont l’archaïque mais efficace téléphone gisait sur la table de nuit se précipita sur l’engin et – ô surprise – découvrit qu’il n’était que quatre heures moins le quart. Les deux dames avaient prévu de se lever deux heures plus tard. Pourquoi perturbait-on ainsi leur bienfaisant sommeil ? L’une et l’autre, sans succès, essayèrent de débrancher la bruyante machine. Impossible ! Ses fils passaient dans les murs. Aucune prise téléphonique en vue. À tour de rôle, elles séparèrent l’écouteur de son support. Résultat nul. G., soucieuse de ne pas perdre une minute de plus de son précieux sommeil – elle dort comme un loir – s’apprêtait à prolonger sa nuit en plongeant sa tête, passablement embrumée, sous les couvertures, mais M. affirmait qu’elle ne pourrait plus fermer un œil avec un pareil bruit.

Pleine de compassion pour sa compagne, – entre dormeuses règne une grande solidarité – G. courut dans la salle de bains, empoigna ses ciseaux à ongles qui, dans sa trousse de toilette, s’attendaient à toute autre utilisation, et, sans plus réfléchir, d’un geste sec, coupa le fil. À ce moment-là, un rire intérieur la saisit. Elle se rappela sa mère à qui, pendant très longtemps, elle n’avait voulu ressembler sous aucun prétexte, tailladant le fil de la console d’Olivier, son fils, parce qu’il l’empêchait de voir  le sirupeux feuilleton « Les feux de l’amour ». Le maigre bout de fil pendouillant du répondeur s’associa aussi pour elle à l’image de Bourvil déplorant dans « Le corniaud » les dégâts subis pas sa 2CV et, avec le volant dans les mains, seule pièce qui restait de sa voiture, s’exclamant : « Elle va beaucoup moins bien marcher maintenant. »

Cependant, sans trêve, la sonnerie continuait. G., au risque de l’endommager encore plus, tapait de toutes des forces sur l’appareil téléphonique. Tout-à-coup, M. réalisa que le vacarme intempestif venait de son nouveau portable dont elle ne connaissait pas encore la sonnerie. Avant le départ pour la Sardaigne, une charitable amie lui avait installé l’alarme qu’elle n’avait pas arrêtée et qui, tous les huit jours, à cette heure incongrue du matin – celle d’un départ avant l’aurore- aurait continué à se faire entendre.

Le lendemain, les deux dames, penaudes en raison de leur méconnaissance des techniques modernes, prêtes à « payer les pots cassés » énoncèrent leurs méfaits à la personne de l’accueil. Il en parla à son chef qui, devant le ridicule de la situation, ne put s’empêcher de rire à gorge déployée.

Honteuses et confuses, G.et M. jurèrent, mais un peu tard, qu’on ne les y reprendrait plus.

                                                 Gisèle Beaussart, l’une des protagonistes de ce récit